PEUT-ON ENCORE PARLER AUX POLICIERS ?
PEUT-ON COMPARER SARKOZY A PETAIN ?
SANS RISQUER L’OUTRAGE…


Le 24 juillet 2006, à la suite d’une arrestation musclée par la police à Paris, consécutive à la contestation d’un PV bidon, JJ Reboux écrit à Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, pour protester contre les violences policières dont il avait été victime. Une longue lettre qui a fait l’objet d’un livre, paru en octobre 2006 (Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy, ministre des libertés policières)*. Parallèlement à la plainte déposée contre lui (pour outrage) par un policier, JJ Reboux dépose une plainte (pour violences et abus de pouvoir) contre deux policiers. Plainte classée sans suite en février 2008 par le Parquet du procureur de la République, après une enquête de l’IGS (la police des police). En attendant son procès, qui se tient le lundi 27 juin à 9 heures, devant la 13e chambre du TGI de Paris.

La publication d’une tribune sur ce sujet sur le site Rue89 a permis à JJ Reboux de rencontrer Romain Dunand, militant RESF condamné le 14 février 2008 à 800€ d’amende pour outrage à Nicolas Sarkozy. Rencontre qui a débouché sur l’écriture commune d’une Lettre au garde des Sceaux pour une dépénalisation du délit d’outrage, dont voici l’introduction.

Notre propos, nous le savons, s’inscrit à contre-courant dans le contexte actuel du tout-répressif : lois Perben-Sarkozy, multiplication des manquements à la déontologie de la part de fonctionnaires de police constatés par la Commission nationale de déontologie de la sécurité, multiplication des condamnations pour outrage et rébellion, utilisation de ces délits pour couvrir des violences policières de plus en plus banalisées, instrumentalisation des statistiques de la délinquance, du taux d’élucidation des crimes et délits, culture de résultat imposée aux policiers, institutionnalisation de la chasse aux sans-papiers, répression des militants des associations les défendant, conditions de détention inhumaines dans les centres de rétention, peines-planchers, loi sur la récidive, sans parler du rétablissement du délit ubuesque d’outrage au drapeau – dans un pays où, rappelons-le, il est fortement question de dépénaliser le droit des affaires !
Pour autant, malgré son titre volontairement provocateur, ce livre répond à un constat: un nombre croissant de gens ne supportent plus le comportement de policiers dont le respect pour les citoyens et l’observation des règles de déontologie, trop souvent, laissent à désirer, alors que ces mêmes policiers ne supportent pas qu’on leur en fasse la remarque. Dès lors, la question s’impose: peut-on encore parler à un policier ? Autrement dit, est-il encore possible, en France, de parler de son travail à un policier sans risquer l’outrage ?

Signe des temps, le cinéma français, pourtant peu enclin aux clameurs militantes, s’est emparé du problème, avec Très bien, merci, l’excellent film d’Emmanuelle Cuau sorti en 2007.
Nous avons voulu, à partir de deux expériences personnelles, ayant a priori peu à voir, livrer une réflexion sur une problématique, qui, si elle n’est pas nouvelle, est de plus en plus prégnante dans la société française: le délit d’outrage à agent et les scandaleux détournements qu’en font certains policiers, qui portent systématiquement plainte contre leurs victimes afin de se "couvrir" et… d’arrondir leurs fins de mois. Et au-delà, bien évidemment, le délit d’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique.

Nous en sommes arrivés à cette conclusion : à cause des abus commis en son nom, et de sa non-réciprocité (un citoyen ordinaire portant plainte contre un policier, malgré l’article 432-5 du Code pénal réprimant les abus d’autorité, a toutes les chances d’être débouté) ; le délit d’outrage est devenu une source d’injustices, dont les victimes sont le plus souvent des citoyens transformés en délinquants par le seul fait d’un arbitraire policier.
Il est surtout devenu un pesant anachronisme, aux relents de crime de lèse-majesté.

C’est pourquoi nous disons au garde des Sceaux: ne serait-il pas grand temps, ainsi que l’ont fait récemment certains pays, de dépénaliser le délit d’outrage? Ne serait-ce pas là une occasion de ramener un peu de paix civile et sociale – fut-ce au prix d’une baisse des très artificielles statistiques de la délinquance – dans un pays marqué par le doute et la dépression ?

Ce courrier a été envoyé à l’ensemble des parlementaires français, ainsi qu’à un certain nombre de magistrats, avocats, policiers, femmes, hommes politiques et, bien entendu, aux médias.
Nous restons assez circonspects, quant à savoir si l’un(e) d’entre eux aura le courage de déposer une proposition de loi en ce sens sur le bureau de l’Assemblée nationale. Il suffirait pourtant d’un(e) seul(e) pour que nous ayons le sentiment que cette lettre n’aura pas été écrite en vain.

Romain Dunand
Jean-Jacques Reboux


* Dont, on trouvera ici le PDF. Le livre est également toujours disponible en librairie, ou par VPC. Sur le même sujet lire aussi Portrait physique et mental du policier ordinaire, de Maurice Rajsfus.
Pour celles et ceux que ça intéresse, voici aussi une nouvelle écrite pour le recueil La France d’après (Eds Privé, 2007), dans laquelle JJR raconte ses autres retrouvailles (fictionnelles, celles-là), à l’automne 2008, avec T’as de la chance qu’il soit pas président !
Lire aussi la tribune publiée sur le site
Rue89, qui complète ce propos.